Humanités numériques et Théologie
par Patrick C. Goujon
La revue poursuit sa réflexion sur le monde numérique. Après un précédent numéro (111/4 [2023]) consacré à l’Intelligence Artificielle, nous vous présentons aujourd’hui un dossier intitulé “Humanités numériques et théologie”. La théologie est-elle touchée par ce qu’on a coutume d’appeler les « humanités numériques », et si oui, en quoi cela concerne-t-il, à travers des questions épistémologiques, la théologie ? Une première réponse pourra sans doute étonner plus d’un lecteur. Les « humanités numériques » ont été préfigurées, selon certains, par Roberto Busa, jésuite italien, spécialiste de saint Thomas. Dès 1949, au sortir de la Deuxième Guerre Mondiale, ce théologien eut l’idée de se tourner vers IBM pour l’aider dans ses recherches philologiques. L’Index Thomisticus fut prêt en 1953, à peu près au même moment que la recherche biblique faisait appel aussi à l’informatique pour le traitement d’une cinquantaine de manuscrits. Merrill Parvis, de l’Université de Chicago, spécialiste du Nouveau Testament, recourait aux services d’IBM pour encoder des variantes textuelles. Ces deux exemples montrent le parti que les théologiens et exégètes escomptaient tirer de la puissance computationnelle de ces systèmes, alors encore à l’état de recherches. Des théologiens et des biblistes étaient donc suffisamment avertis de ces évolutions pour se tourner vers la firme américaine. Ces savants ecclésiastiques exerçaient une veille technologique, qualités nécessaires pour garder un recul critique.
Au fil des articles se dessine une typologie des apports des technologies numériques à la recherche. On trouve d’abord ce qui relève de l’environnement de travail du spécialiste (la bureautique), avant de considérer les éditions numériques accessibles à tout public, parfois de manière gratuite ou à des prix que seules des institutions peuvent financer. Une sorte d’équivalent d’encyclopédies (corpus, lexiques et concordances) est ainsi disponible sans qu’aucune connaissance particulière sur les opérations critiques de la philologie, les sciences du texte, ou les algorithmes ne soient nécessaires à leurs usagers. La phase proprement savante introduit un nouvel échelon dans cette typologie avec l’établissement des corpus, des éditions critiques et leur traitement.