D’un Colloque l’autre : Du Colloque d’Oxford (8-10 avril 2003) au Colloque des RSR (27-30 juin 2004)
En 1984, le troisième centenaire de la naissance de Jean Astruc fut, comme il se devait, célébré par l’Université de Montpellier dont le futur médecin de Louis XV avait été un des plus prestigieux élèves de la Faculté de médecine. Son histoire comme sa très considérable œuvre médicale firent donc l’objet de nombreuses études. Mais pas une communication, pas un article ne fut consacré à ses Conjectures de la Genèse dont l’originalité et la rigueur devaient jusqu’à nos jours commander les études sur le Pentateuque. Certes, on trouve bien, ici ou là, une allusion à son œuvre « apologétique », mais comme témoin de la période plus ou moins sénescente de sa vie…
Le colloque qui s’est tenu en avril dernier à Oxford, « Sacred Conjectures. The Context and Legacy of R. Lowth and J. Astruc”, avait saisi la double occasion du 250 e anniversaire de la publication, la même année 1753, du De sacra poesi Hebraeorum de Robert Lowth, et des Conjectures de Jean Astruc (celles-ci ayant été rééditées en 1999).
Quarante-cinq participants échangèrent pendant quarante-huit heures sur les apports analogues de ces deux auteurs qui, certes, ne se rencontrèrent ni ne se lurent jamais, mais dont le point commun fut, pour ainsi dire, de descendre sur le terrain du texte, la Genèse pour l’un, les Psaumes et Isaïe, pour l’autre, afin de lui appliquer de rigoureuses règles d’analyses. En bref, après qu’eurent été posés au XVIIe siècle, avec Spinoza et Richard Simon notamment, les grands principes d’une épistémologie, Astruc et Lowth allaient proposer une méthodologie. Qu’il s’agisse, d’un côté, de déterminer les quatre « Mémoires » fondamentaux dont se serait servi Moïse pour écrire son œuvre, et, de l’autre, les trois grands parallélismes qui caractérisent la poésie hébraïque, dans les deux cas la Bible devait être rendue à la nature commune de l’histoire, de la composition littéraire et donc d’une certaine objectivité du texte.
Pas plus pour l’un que pour l’autre, leur piété ne saurait être soupçonnée. Ni Lowth, évêque d’Oxford puis de Londres, réformateur du clergé anglican, ni Astruc, bon catholique dénonciateur des « esprits forts », n’entendaient attenter à la sacralité des textes et de leur intelligence croyante. Pourtant, ils ne contribuèrent pas pour peu à cette sorte de « laïcisation » de l’étude biblique entamée au XVIIe siècle et pour laquelle Lowth prônait le « libre exercice de la raison » et un « jugement personnel ».
Aussi les débats furent-ils occupés par les évolutions de cette exégèse critique dans ses rapports à la nature et au statut des Écritures, et en particulier de l’Ancien Testament, dans les Églises comme dans la foi des individus. Les questions d’inspiration et d’interprétation, mais aussi de rapports aux sciences et arts « profanes », ne pouvaient pas ne pas se poser et occupèrent aussi une part non négligeable des débats.
Qui étaient ces participants ?
La plupart étaient des exégètes de l’Ancien Testament, certains plus concernés par l’histoire de l’exégèse. Mais il y avait aussi des comparatistes, des critiques littéraires, des historiens de la littérature, ce qui n’était pas étonnant pour le XVIIIe siècle français, Oxford étant depuis plus de vingt ans le haut lieu de l’édition des œuvres complètes de Voltaire.
Il est à noter ici qu’à l’exception de deux Français, tous les participants venaient soit des Etats-Unis soit de ce qu’on pourrait appeler l’Europe du Nord : Grande-Bretagne, Allemagne, Belgique, Norvège, Suède. Ainsi aucun pays « latin » n’était représenté.
On peut certes trouver raison à cela dans la mesure où l’histoire de l’exégèse a longtemps été l’apanage de l’Angleterre et de l’Allemagne. Pourtant, avec, entre autres, la Bible de tous les temps et son remarquable Siècle des Lumières et la Bible (BTT 7, Beauchesne, Paris, 1986), la France n’a pas démérité. Mais il en est ainsi… Or, d’une certaine façon, et étant donné l’importance accordée non seulement à Astruc, mais aussi aux riches origines françaises de l’exégèse critique dont les nombreux noms illustrateurs furent largement évoqués, un tel colloque aurait pu se tenir en France… ou à Genève, voire à Louvain-la-Neuve.
Car il ne s’agissait pas seulement de rappeler ou de rectifier tel point d’histoire, de préciser l’influence de tel ou tel nom injustement oublié, ou encore de montrer par de solides arguments la « modernité » de Lowth et d’Astruc. Les enjeux étaient également épistémologiques, doctrinaux, théologiques…
C’est sans prétention ni plan préétabli par quelque souci de réponse ou de complémentarité que le prochain Colloque des RSR a pris pour thème « La réception des Écritures inspirées ». Ce thème et ses grandes lignes ont été affinés indépendamment du Colloque d’Oxford. Mais il faut reconnaître que celui-ci a confirmé la pertinence, voire l’urgence d’aborder ces problèmes de « réception » en Eglise et dans la foi par rapport auxquelles les circonstances historiques, les procédures méthodologiques et certaines carences théologiques dans les différentes confessions chrétiennes comme dans le Judaïsme, ont plus accumulé d’obstacles qu’apporté de lumières.
Un certain divorce s’est ici instauré entre science et foi, entre pratique exégétique et lecture croyante, divorce qu’ont parfois cherché à colmater, ces dernières décennies, des « méthodes nouvelles » qui souvent cachent mal un véritable fondamentalisme. Qu’il s’agisse des questions autour du Canon et de l’inspiration des Écritures, qu’il s’agisse de problèmes de traduction ou d’épistémologie en matière critique, c’est la question de la vérification aujourd’hui du « jugement de vérité » impliquée dans la thèse de l’inspiration des Écritures, qu’il faudra poser, et ce, pour tenter d’apporter des réponses pour lesquelles un bricolage linguistique ou le simple rappel d’un langage traditionnel ne peuvent plus suffire.