Jean-Louis Souletie,
Institut catholique de Paris
Benoît Bourgine
Université catholique de Louvain, Louvain-la-Neuve
Thérèse Andrevon
Institut catholique de Paris
Partie I – Historiographie et actualité de la théologie fondamentale, par
Benoît BOURGINE (1-7)
Partie II – Le judaïsme pour une théologie fondamentale, par Thérèse
ANDREVON (8-31)
1. Théologie aux prises avec l’histoire revisitée (8-14)
2. Essais de théologie chrétienne du judaïsme (15-20)
3. Traités (21-24)
4. Ouvrages grand public (25-31)
Les bulletins de théologie fondamentale (TF) depuis 2005 divisent la matière entre les traités, les essais, (La révélation, RSR 2005 ; histoire de la discipline, RSR, 2008 ; l’historiographie, RSR, 2013) et les contextes (le contexte théologico-politique, RSR 2005 ; le contexte africain de la TF, RSR 2008 ; la postmodernité, RSR 2013). Cette partition indique que le cahier des charges de la discipline s’est déplacé d’une apologétique hâtive vis-à-vis de l’incroyance vers la portée universelle de l’événement du salut dans le contexte contemporain des sociétés pluri-religieuses. La TF s’est alors disséminée jusqu’aux jointures des objets de la dogmatique mais aussi de ceux de la théologie pastorale ou de celle des pratiques sociales et ecclésiales. Pour le dire avec K. Rahner, « le moment nous paraît venu d’élaborer une “théologie pratique”. […] Elle doit prendre pour objet toute la réalité actuelle de l’Église ; elle doit réexaminer fondamentalement la situation actuelle de l’Église, froidement et d’un point de vue authentiquement théologique ; elle doit partir d’une ecclésiologie pour aboutir, en la dépassant, à cette simple question qui résume tout : “ Qu’est-ce que l’Église doit faire aujourd’hui ?” » (K. RAHNER, « Préface », Mystère de l’Église et action pastorale, Paris, Desclée de Brouwer, 1969, cité par Pierre-André Liégé, Recherches actuelles, Paris, Beauchesne, « Le point théologique » n° 1, 1971, p. 65). Selon cette exigence, les nouvelles occupations de la TF se sont enracinées dans le passage d’une compréhension métaphysique à une compréhension historique de la réalité. La TF discerne ainsi, dans les termes de H. Bouillard, « le lien interne, entre la question de l’existence, que dévoile une analyse philosophique, et la réponse qu’y donne le message chrétien. En d’autres termes, elle consiste à rapporter l’une à l’autre, sans les confondre, une herméneutique de l’existence humaine et une herméneutique du message évangélique. » (Henri Bouillard, « La tâche actuelle de la théologie fondamentale », Recherches Actuelles II, Paris, Beauchesne, 1972, p. 34). Cette relation entre deux herméneutiques tient au fait que la révélation de Dieu ne se réduit pas à la simple communication d’un savoir mais qu’elle se réalise dans le processus de l’histoire et de l’expérience des êtres humains.
Le présent bulletin de TF poursuit cette perspective. D’abord avec des essais significatifs sur la possibilité d’un discours chrétien dans la culture contemporaine et ensuite avec des réflexions contextuelles sur le caractère incontournable du judaïsme actuel dans la tentative de penser aujourd’hui le Dieu de la Bible.
Partie I. Historiographie et actualité de la théologie fondamentale
– (Benoît Bourgine) –
1. BONDOLFI Alberto, MARIANI Milena (Éds.), Carlo Maria Martini. Potenza e inquietudine della parola, « Scienze religiose » 30, EdB, Bologne, 2014, 140 p.
2. FORTE Bruno, La trasmissione della fede, BTC 169, Queriniana, Brescia, 2014, 256 p.
3. EBELING Gerhard, Répondre de la foi. Réflexions et dialogues, éd. P. Bühler, « Lieux théologiques » 46, Labor et Fides, Genève, 2012, 327 p.
4. NOUZILLE Philippe, Au-delà de soi. Révélation et phénoménologie, « De Visu », Hermann, Paris, 2014, 455 p.
5. GALLEZ Jean-Pol, La théologie comme science herméneutique de la tradition de foi. Une lecture de Dieu qui vient à l’homme de Joseph Moingt, BEThL 275, Peeters, Leuven, 2014, 473 p.
6. WÜTHRICH Matthias, Raum Gottes. Ein systematisch-theologischer Versuch. Raum zu denken, FSÖTh 143, V & R, Göttingen, 2015, 558 p.
7. ROHLS Jan, Ideengeschichte des Christentums. Bd I : Offenbarung, Vernunft und Religion ; Bd II : Schrift, Tradition und Bekenntnis, Mohr Siebeck, Tübingen, 2012, 1116 p ; 2013, 1027 p.
* * *
Parmi les questions transversales qui se dégagent de l’actualité bibliographique, le thème de la révélation se recommande à l’attention pour plusieurs motifs. Le rapport entre le niveau expérientiel de la vie théologale et l’aspect rationnel de la pensée théologique donne lieu, en dépit de positions contrastées notamment sur le rôle de l’écriture, à des éclairages articulant plus étroitement la révélation à l’acte continu de tradition, lui-même justiciable de relectures critiques à l’aune de l’analogie de la foi. L’étude phénoménologique et théologique de Nouzille n’interroge pas d’abord les conditions anthropologiques de sa possibilité, à la manière de la théologie transcendantale ; elle envisage surtout la nécessité du dépassement auquel le soi ne peut se soustraire sans manquer à lui-même, installant ainsi la vie théologale dans le voisinage d’autres voies d’humanité non explicitement déterminées par la révélation de Dieu en Jésus-Christ. N’est-ce pas là une voie prometteuse, à même de délivrer le concept de révélation des étroitesses du contexte apologétique qui avait présidé à son émergence ? On peut enfin noter, d’une étude à l’autre, le rôle joué par la conceptualité de la relation sans qu’intervienne toujours une élucidation suffisante de ses enjeux philosophiques ou une identification de ses origines bibliques.
Partie II. Le judaïsme pour une théologie fondamentale
– (Thérèse Andrevon) –
À la suite de la promulgation de la déclaration conciliaire Nostra ætate en son paragraphe 4, « le lien qui unit spirituellement l’Église à la descendance d’Abraham » est affirmé positivement et le peuple juif est réhabilité dans son statut de « frère aîné ». Certains précurseurs du début du XXe siècle – Joseph Bonsirven, Jacques Maritain, Paul Démann, le cardinal Journet – avaient dénoncé les clichés anti-juifs et démontré l’importance d’Israël en tant que racine du christianisme pour une réflexion fondamentale de la foi chrétienne. Ils avaient déjà remis en cause l’antique discours sur les juifs, et révisé l’utilisation apologétique de l’histoire à leur encontre. Ces précurseurs abordaient de manière plus positive le refus de croire en Jésus par les juifs du temps de la prédication des apôtres y voyant une providentielle opportunité pour les nations d’accueillir l’Évangile. Enfin, la théologie du reste d’Israël était une garantie de la future réintégration de tout le peuple juif au terme du temps des nations, réintégration encore souvent appréhendée en termes de conversion des juifs au christianisme. Car le judaïsme ne jouait plus, selon eux, ne jouait plus de rôle dans la vie et la mission de l’Église. Le christianisme était le dépassement du judaïsme, et l’alliance nouvelle présentait sans conteste un caractère universel qui rendait la particularité du peuple juif inadéquate après l’événement pascal. Tant que la théologie catholique s’est restreinte à la notion de racine pour caractériser le rapport du judaïsme au christianisme, la théologie fondamentale n’a pas été affectée outre mesure. Le mot racine évoque des fondations, certes respectables, mais relevant du passé. À quoi servait en réalité de savoir que les origines de l’Église étaient juives pour la théologie aujourd’hui ? Ou bien qu’apportait en réalité à la théologie sacramentelle de connaître le lien entre la dernière Cène et le repas pascal ? On s’est donc réjoui de mieux comprendre les Évangiles à la lumière de la vie et des coutumes du judaïsme, de voir l’exégèse biblique s’enrichir au contact de la tradition juive, et de renouer avec le peuple de l’Ancien Testament, ce dernier étant redonné aux fidèles dans la liturgie dominicale. Mais, lorsque le pape Jean-Paul II, interprétant Nostra ætate 4, relayé par les théologiens et la commission pontificale pour les relations avec le judaïsme, a rappelé que l’Alliance avec le peuple juif n’avait jamais été révoquée – puis, que « la religion juive ne nous est pas “extrinsèque” mais, d’une certaine manière, elle est “intrinsèque” à notre religion » (Jean-Paul II à la synagogue de Rome en 1986) –, la sotériologie, la christologie, l’ecclésiologie se virent interrogées : si le judaïsme contemporain demeure valide dans l’économie du salut, quel rôle joue-t-il pour l’Église qui se pensait définitivement passée au régime de la nouvelle alliance ? Si Jésus était juif et l’est toujours resté (« Notes pour une présentation correcte des juifs et du judaïsme », 1985), le Ressuscité est donc un juif, qu’est-ce que cela signifie pour la christologie ? Comment conjuguer le salut universel du Christ et la permanence de l’ancienne Alliance jamais révoquée ? Comment comprendre la manière dont Jésus a accompli son œuvre relativement au peuple juif ? Quelle est la signification pour l’Église, dans la compréhension qu’elle a d’elle-même et du salut, de ce peuple juif détenteur d’une élection jamais dénoncée ? Les outils classiques d’interprétation des Écritures eux-mêmes se virent également chahutés : il fallait revisiter la typologie, les notions d’accomplissement, de nouveauté, de récapitulation en cohérence avec ces données
nouvelles. Ainsi, depuis une quarantaine d’années la théologie s’affronte à ces questions, Nostra ætate 4 ayant mis en demeure l’Église de dépasser la théologie de substitution, et de refaçonner sa théologie du judaïsme. Les ouvrages des dix dernières années en théologie du judaïsme peuvent se classer en quatre catégories : il y a les livres « historico-théologiques », puis ce qu’on peut appeler les essais qui fournissent des pistes variées pour une théologie du judaïsme. Ensuite, il y a ce que nous choisissons de nommer les traités, qui tentent d’élaborer une théologie du judaïsme plus systématique. Enfin, il y a les livres plus accessibles au grand public qui méritent d’être signalés. Bien qu’ils contribuent évidemment à l’élaboration d’un renouveau du discours théologique, nous laissons de côté les nombreux ouvrages d’études bibliques et d’exégèse du Nouveau Testament à la lumière de la tradition juive, ou bien ceux qui établissent des liens entre tradition d’Israël et tradition chrétienne. Une dernière remarque s’impose : la majorité des ouvrages qui traitent du rapport au judaïsme sont des collectifs, où se croisent histoire, exégèse et ouvertures théologiques. Leur recension s’arrêtera préférentiellement sur les ouvertures théologiques.
1. Théologie aux prises avec l’histoire revisitée
8. BOYARIN Daniel, La partition du judaïsme et du christianisme, trad. J. Rastoin, « Patrimoine-judaïsme », Éd. du Cerf, Paris, 2011, 447 p.
9. BOYARIN Daniel, Le Christ juif, Éd. du Cerf, Paris, 2013, 192 p.
10. YUVAL Israel Yacov, Deux peuples en ton sein, Albin Michel, Paris, 2012, 448 p. (écrit en 2000 en hébreu).
11. MIMOUNI Claude Simon, POURDERON Bernard (dir.), La croisée des chemins revisitée. Quand l’Église et la Synagogue se sont-elles distinguées ?, Éd. du Cerf, Paris, 2011, 400 p.
12. ROTA Olivier (dir.), Histoire et théologie des relations judéo-chrétiennes : un éclairage croisé, préf. M. Hadas-Lebel, Parole et Silence, Paris, 2014, 174 p.
13. DUJARDIN Jean, L’Église catholique et le peuple juif. Un autre regard, « Diaspora », Calmann-Lévy, Paris, 2003, 563 p.
14. MACINA Menahem, Chrétiens et juifs depuis Vatican II. État des lieux historique et théologique. Prospective eschatologique, Éd. du Docteur angélique, Avignon, 2009, 400 p.
2. Essais de théologie chrétienne du judaïsme
15. GOEDT Michel, de, ocd, L’alliance irrévocable, écrits sur le judaïsme, Éds. du Carmel, Toulouse, 2015, 333 p.
16. LUSTIGER Jean-Marie, L’Alliance, Presses de la Renaissance, Paris, 2010, 293 p.
17. PAWLIKOWSKI John T. OSM, KORN Eugene B. (Éds.), Two Faiths, One Covenant ?, « The Bernardin Center series », Rowman & Littlefield, New York, 2005, 184 p.
18. CUNNINGHAM Philip A., HOFMANN Norbert, SIEVERS Joseph (Éds.), The Catholic Church and the Jewish People, Recent Reflections from Rome, « Abrahamic Dialogues », Fordham University Press, New York, 2007, 257 p.
19. MOYAERT Marianne, POLLEFEYT Didier (Éds.), Never revoked, Nostra aetate as Ongoing Challenge for Jewish-Christian Dialogue, LTPM 40, Peeters/Eerdemans, Leuven/Grand Rapids (MI), 2010, 186 p.
20. GARRIGUES Jean-Miguel, Le peuple de la première Alliance. Approches chrétiennes du mystère d’Israël, Éd. du Cerf, Paris, 2011, 288 p.
3. Traités
21. CUNNINGHAM Philip A., SIEVERS Joseph, BOYS Mary C., HENDRIX Hans Hermann, SVARTVIK Jesper (Eds.), Christ Jesus and the Jewish People Today. New Explorations of Theological Interrelationships, Eerdmans, Grand Rapids (MI), 2011, 302 p.
22. THOMA Clemens, Théologie chrétienne du judaïsme. Pour une histoire réconciliée des juifs et des chrétiens, Parole et Silence, Paris, 2005, 267 p.
23. CUNNINGHAM Philip A., Seeking Shalom. The Journey to Right Relationship between Catholics and Jews, Eerdmans, Grand Rapids (MI), 2015, 282 p.
24. KINZER Mark. S, Scrutant son propre mystère. Nostra ætate, le Peuple juif et l’identité de l’Église, préf. cardinal Schönborn, Parole et Silence, Paris, 2016, 312 p.
4. Ouvrages grand public
25. CHEVALIER Yves, BEAU Jérôme, Mgr, CHARMET Bruno, Juifs et chrétiens, pourquoi nous rencontrer ?, « Juifs et chrétiens en dialogue » 1, Parole et Silence, Paris, 2013, 266 p.
26. CHEVALIER Yves, BEAU Jérôme, Mgr, CHARMET Bruno, Juifs et chrétiens, pour approfondir le dialogue, « Juifs et chrétiens en dialogue » 2, Parole et Silence, Paris, 2013, 242 p.
27. CHEVALIER Yves, BEAU Jérôme, Mgr, CHARMET Bruno, Chrétiens, à l’écoute de la tradition d’Israël, « Juifs et chrétiens en dialogue » 3, Parole et Silence, Paris, 2014, 288 p.
28. CHARMET Bruno, Juifs et chrétiens, partenaires de l’unique alliance. Témoins et passeurs, préf. Marguerite Léna, Parole et Silence, Paris, 2015, 289 p.
29. BENSAHEL Jean-François, D’ORNELLAS Pierre, Mgr, Juifs et chrétiens, frères à l’évidence. La paix des religions, Odile Jacob, Paris, 2015, 381 p.
30. BOLLAG Michel, RUTISHAUSER Christian, Ein Jude und ein Jesuit im Gespräch über Religion in turbulenter Zeit, Grünewald, Patmos, 2015, 212 p.
31. BALLARD Moïse, L’enjeu spirituel du mystère d’Israël, EdB, Bologna, 2013, 137 p.
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